A la fin du 19e siècle, de nombreuses expositions internationales se tiennent dans les grandes villes européennes et rencontrent un très grand succès. Bruxelles n'est pas en reste et accueille du 10 mai au 8 novembre 1897 une exposition de ce type avec la participation de 27 pays. Elle comptabilisa 8 millions de visiteurs. Cette exposition, prévue initialement pour 1895, fut retardée afin de pouvoir lui adjoindre une importante section congolaise. Deux sites seront alors choisis : celui du parc du Cinquantenaire et celui de Tervuren. Un nouvelle ligne de tramway et la prestigieuse avenue de Tervuren les relieront.
Sortons de nos limites territoriales bruxelloises pour nous rendre à Tervuren pour y rencontrer l'Exposition coloniale. Alors que la question du rattachement du Congo à la Belgique, alors État indépendant du Congo et possession personnelle du roi Léopold II, commençait à se poser et rencontrait de vives oppositions, notre souverain voulut "démontrer de façon éclatante à ses sujets tout l'intérêt que revêtait le Congo" (1). Un Palais des Colonies, érigé dans le parc de Tervuren, spécialement conçu par l'architecte français Albert-Philippe Aldrophe en 1894 et construit par le belge Ernest Acker, abritera à cet effet l'exposition des principaux produits d'exportation et d'importation de la colonie, celle d'objets d'intérêt ethnographique ainsi que celle de sa faune grâce à des animaux naturalisés, le tout dans un cadre Art Nouveau. Le bâtiment avec sa façade Louis XVI se dresse toujours dans la perspective de l'avenue de Tervuren. Deux longues halles métalliques aujourd'hui disparues (75 x 40 m. et 60 x36m) disposées autour d'une cour et reliées par une galerie souterraine le complétaient. Les visiteurs entraient dans le bâtiment par un salon d'honneur dans lequel se mélangeaient des objets africains, des meubles de luxe et des sculptures chryséléphantines (faites d'ivoire et or), œuvres d'artistes belges. On peut encore en admirer plusieurs dans les collections du Musée royal des Beaux Arts à Bruxelles. La salle d'ethnographie succédait au salon d'honneur avec une présentation d'objets illustrant les us et coutumes des régions du Congo. Puis venait la salle des importations (matières premières), suivie de celle des exportations (marchandises d'échange, emballages etc). La salle réservée aux grandes cultures (café,cacao,tabac, etc) terminait le parcours. Afin de soigner la scénographie, la présentation de chacune de ces différentes sections fut confiée à un artiste : la salle d'ethnographie à Paul Hankar, des importations à Gustave Serrurier-Bovy, des exportations à Henry Van de Velde et celle des grandes cultures à Georges Hobé. En complément au Palais des Colonies, en juillet et en août, deux villages africains reconstitués, mais clôturés pour que le public n'y ait pas accès, «exhibaient» des indigènes des peuplades bangala, mayombe et basoko, deux pygmées ainsi qu'un arabisé avec ses deux femmes et son fils. Un détachement de la Force publique avec fanfare donnait des concerts ou paradait à heures fixes. Un troisième village, surnommé « village de Gijzegem », venait compléter ce « zoo » humain : on pouvait y voir en le parcourant des enfants congolais habillés en marin. Instruits dans le village de Gijzegem (Flandre orientale) par l'abbé Van Impe, leur présence devait montrer que les nouveaux colonisés étaient susceptibles de progrès. Pour assurer toute cette mise en scène, on avait fait venir 267 congolais qui, après 4 longs mois de voyage, avaient débarqué à Anvers. Quatre des leurs périrent au cours de cette « croisière ». Ajoutons que, pendant la durée de l'expo, sept autres perdirent la vie (pneumonie ?). On peut voir leurs tombes alignées le long du mur nord de l'église Saint Jean-Baptiste de Tervuren. Malgré l'engouement du public, les responsables de l'exposition et donc des « villages noirs » durent affronter des critiques, peu nombreuses, mais virulentes, allant jusqu'aux reproches d'inhumanité et de barbarie. Il faut se remettre dans la mentalité de la très grande majorité des gens de l'époque que cela ne dérangeait en rien, car imprégnés de la vision ambiante d'une colonisation occidentale qui apportait civilisation et bien être à cette Afrique barbare. Cette exposition coloniale de Tervuren connut un grand succès avec 1,8 million de visiteurs.
Sur un autre plan, rappelons qu'un décret royal du 7 décembre 1815 avait attribué le parc de Tervuren au prince Guillaume d'Orange pour sa vaillante conduite à Waterloo. Le prince y fit construire entre 1817 et 1823 un pavillon carré de style néo-classique (1817-1823) d'après les plans de Charles Van der Straeten. Le parc de Tervuren et le pavillon passèrent ensuite dans les biens de l’État belge après la révolution de 1830. Le bâtiment devint en 1867 la résidence de Charlotte, sœur de Léopold II et veuve de l'empereur Maximilien fusillé à Querétaro par les Mexicains. Détruit par un incendie en 1879 auquel Charlotte échappa de justesse, ses vestiges firent place en 1894 au Palais des Colonies. Après l'exposition de 1897, le Palais des Colonies devint musée permanent pour le Congo, mais il se révéla rapidement trop petit. Le roi Léopold II conçut alors le projet d'un nouveau musée (l'actuel Musée royal d'Afrique centrale) dont il confia en 1904 la réalisation à l'architecte français Charles Girault, auteur du Petit Palais à Paris. Le souverain ne vit jamais la fin des travaux puisqu'il mourut en 1909. Le musée fut inauguré par son successeur Albert Ier en 1910.
(1) Aubry, Françoise, L'exposition de Tervueren en 1897 : scénographie Art nouveau et arts primitifs, p.179 in Bruxelles carrefour de cultures,Mercator, 2000.