En ce vendredi 24 octobre 2025, le Cercle d’Histoire de Bruxelles offre un costume de Hallebardier de la Ville de Bruxelles, à Manneken-Pis.
Discours de Jean-Jacques DE GHEYNDT, président 
Madame l’échevine,
Mesdames et Messieurs les Hallebardiers, vous qui êtes mis à l’honneur,
Amies et Amis de l’Ordre de Manneken-Pis,
Représentantes et représentants des Associations folkloriques,
Chers amies et amis bénévoles du Cercle d’Histoire de Bruxelles,
Joenges, Maskes en kadeikes,
En ce vendredi 24 octobre 2025, le Cercle d’Histoire de Bruxelles a l’honneur de remettre un nouveau costume à Manneken-Pis, notre immense emblème bruxellois ! Traditionnellement, cette cérémonie ne se déroule pas dans cette salle, mais comme il s’agit d’un costume de Hallebardier, il est logique de la transférer dans cette magnifique Salle des Mariages, afin de mettre en avant la fonction, et surtout les femmes et les hommes qui la remplissent avec sérieux, dévouement et bonhomie !
Peut-être ne le savez-vous pas, mais depuis le Moyen-âge siégeait dans l’actuelle salle des mariages un tribunal. Ce local fut également la « Salle des Nations » car les représentants des corporations de métiers réunis en 9 groupements appelés Nations y siégeaient depuis 1421. Le tribunal s’appelait la « Saele voor de Vierschaere », un terme qui désigne un quadrilatère délimité par quatre bancs (schaeren) où l’on connaissait des affaires criminelles, et par extension le tribunal lui-même. On y amenait les accusés depuis l’Amigo, qui n’était pas à proprement parler une prison, mais un local de transit entre lieu de séjour carcéral et cour de justice. Bref, après avoir ici même condamné à mort des coupables, à présent on y condamne à vie des innocents… mais je m’égare…
Le grand incendie de 1695 détruisit la Grand-Place, à l’exception de quelques façades, dont celle de l’Hôtel de Ville ainsi que son beffroi. Tout le reste fut reconstruit en style classique, comme en témoigne l’arrière du bâtiment, sur la rue de l’Amigo, portant le millésime 1700. Il en est de même de la salle de justice, mais on ne dispose pas de détail sur son décor.
Dans la 2e moitié du XIXe siècle, on se rend compte que la Grand-Place pouvait retrouver son lustre d'antan. La Maison du Roi est reconstruite et la statue d’Egmont et de Hornes est transportée au Petit Sablon. Le réaménagement complet de l’intérieur de l’Hôtel de Ville vise le même objectif, tout en lui permettant d’être plus fonctionnel. Ce grand projet décidé par l’autorité communale est réalisé sous l’autorité de l’architecte de la Ville, Pierre-Victor Jamaer. Dans l’Hôtel de Ville on crée la « salle gothique » (en réalité néogothique) et la salle des mariages reçoit son aspect actuel.
L’intervention est réalisée dans un style résolument néogothique, inspiré des réalisations du début du XVe siècle. La qualité des matériaux, leur traitement, la richesse des motifs utilisés et la destination de la salle en font l’une des interventions importantes du chantier. Le nouveau décor fait à la fois référence à l’autorité communale médiévale et à la nouvelle fonction de salle des mariages. Même s’il en a l’apparence, ce décor ne correspond en rien à ce qu’il était au Moyen-âge…, mais il sert en quelque sorte de manuel d’histoire. Au centre de la grande peinture murale, derrière l'estrade, se trouve l’allégorie de la Ville de Bruxelles. Elle est entourée de la mention « Bruesele, hoofstad van België » (capitale de la Belgique) ; à ses côtés les allégories (sous les traits de Saint Michel) de la Justice et de la Loi, le tout accompagné des inscriptions « hier bindt de liefde u blij te gader » (ici l’amour vous réunit avec joie), « trouwt en houdt » (mariez-vous et soyez fidèles) ainsi que « mint eens gezind » (aimez-vous sereinement). Les poutres du plafond affichent un texte médiéval en vers « Hoe men ene stat regeren sal » (comment gouverner une ville). Il s’agit donc bel et bien d’une énumération de recommandations adressées à ceux qui exercent l’autorité communale, notamment l’égalité de traitement en matière de justice ( « ‘t recht houden altyts gelycke alzoe wel den armen als den rycken », c.-à-d. appliquer le droit de la même façon, aux riches comme aux pauvres). Enfin, les caissons du plafond présentent les Blasons des cinq serments (milices bourgeoises urbaines) : escrimeurs - archers - arbalétriers (grand serment) - arbalétriers (petit serment) - arquebusiers ( « colveniers »)…
Et les Hallebardiers, alors, direz-vous ?
Contrairement aux milices des 5 serments énoncés ci-devant, les Hallebardiers sont des gardes. La plus ancienne référence qui concerne cette fonction remonte à François 1er (on parle même de 1515… date de la bataille de Marignan). Initialement, c’étaient des gardes du Prince, plus tard de la fonction municipale et de l'Hôtel de Ville.
Depuis 1911, nos Hallebardiers sont des porteurs de traditions, chargés d'encadrer les cérémonies officielles à l'Hôtel de Ville, notamment les mariages civils, en arborant avec fierté et dignité l'uniforme aux couleurs de la Ville. Ils participent à des événements et à des réceptions officielles pour mettre en valeur la ville et son histoire. Ils seraient ainsi les derniers représentants de cette fonction, en Belgique, car si le costume ne fait pas le moine, il fait le Hallebardier ! En effet, il convient d’éviter l’amalgame entre « Suisse » et Hallebardier : le premier occupe sa fonction dans un contexte exclusivement religieux (songeons au Vatican) ; le deuxième ressortit au registre civil.
Mais qui sont ces hommes ? Que dis-je… qui sont ces femmes et ces hommes ? Car depuis 2002, la fonction s’est ouverte à la seconde moitié de l’humanité, « seconde » n’étant pas à comprendre dans le sens d’ « inférieure » ni « qui vient après », mais bien désignant « l’autre moitié » par rapport à celle qui s’est arrogé le droit de se considérer comme la principale… C’est donc en 2002 que Marie-José PASTEELS devint la première Hallebardière, dotée d’un costume légèrement différent et créé pour la circonstance.
Il ne s’agit pas de fonctionnaires, d’employés municipaux, même si certains ont pu l’être auparavant, mais de volontaires et sympathiques mamies et papys qui remplissent cette fonction pour l’honneur, contre une petite rétribution (pourquoi le cacher ? tout travail mérite salaire). Et comme l’avouent tous les intéressés « on travaille aussi un peu au pourboire », ce qui nous permettra bientôt de rejoindre Menneke-Pis pour ce faire !
Leur livrée arbore les couleurs de la Ville, et est floquée de l’image de Saint-Michel et de Sainte-Gudule. Leur habit est en drap vert épinard
à parements rouge vif et galons d’argent. Le gilet est rouge et un foulard blanc tient lieu de jabot. La culotte est noire avec des boutons et une jarretière d’argent. Les bas sont noirs. Les souliers, noirs, également, sont (théoriquement) ornés d’une boucle d’argent. Les boutons, de métal blanc, sont frappés à l’effigie de Saint-Michel, le patron de la Ville. Enfin, ils sont coiffés d’un bicorne noir galonné d’argent.
Petite précision historique toutefois : au départ « les » couleurs de Bruxelles sont seulement « le gueules », c'est-à-dire une couleur rouge écarlate comme on peut le voir dans l’écusson coincé entre les deux B's de Brigitte Bardot, pardon de « Bruxella in Brabantia », des tapisseries de Bruxelles. Plus tard, au XIXe siècle, on entoure l'écusson de deux lions de couleur or (jaune), comme le lion du Brabant (qui est l'original, le lion flamand étant inversé en noir sur fond jaune). À ce moment, les lions sont dans un champ en sinople (c'est-à-dire vert). Puis on glisse le champ vert dans l'écusson, alors qu’officiellement, il n'y est toujours pas ! Les deux champs sont alors accompagnés d'un Saint-Michel, qui est ce qu’on appelle une « ombre héraldique » (c'est-à-dire sans couleur), colorié ensuite en or (jaune) !
Mais revenons à leur emblème le plus impressionnant : la hallebarde, cette arme redoutable combinant une hache, une pique et un coupe-jarret ! La hampe de bois est surmontée d’un fer en hache, en métal blanc, gravée d’un côté d’un Saint-Michel, de l’autre, de Sainte-Gudule, et de franges aux couleurs de la Ville. Cette arme, apparue en Suisse au XIVe siècle, se répandit progressivement dans l'ensemble des armées d'Europe au siècle suivant, ce qui explique la confusion facile entre « Suisse » et « Hallebardier ».
Certains, exerçant plutôt une fonction de « maître de cérémonie », tiennent une canne à pommeau d’argent orné d’une Vierge en majesté, appelée « brigadier »… j’imagine qu’il serait fort inopportun d’accompagner les futurs mariés à l’autel (si j’ose dire) avec une arme de guerre, comme si leur seule présence en ces lieux les empêcherait à tout jamais de dire « non » à la dernière minute… ce qui eut lieu à de rares occasions, comme lorsqu’un futur mari – sous la menace de la famille de sa fiancée – dû se rétracter à la dernière seconde ! Heureusement, l’Échevin avait été prévenu, ce qui permit de modérer les troubles qui s’en suivirent et les Hallebardiers ne durent pas faire usage de leurs armes… qu’ils et elles se feront un plaisir de vous laisser admirer en détail lors du drink.
Et puis, il y a le prestige de l’uniforme. Ah, ce moment inoubliable, mon cher Eddy, où un gamin vous admirant s’est écrié « Il est sorti du mur » en montrant une décoration de la Salle Gothique, antichambre de celle des Mariages. Voilà un souvenir qui aurait fait sourire « Dédé », votre papa Désiré, qui vous a transmis le si beau virus de l’accueil, de la bonhomie et de la bienveillance.
Il faut savoir parler toutes les langues, comme le faisait Freddy Thielemans et – tout comme lui – manier la zwanze. C’est ainsi qu’un jour, Eddy Van de Mert demanda à une future mariée « Et vous, vous êtes un peu entrainée ? » . Celle-ci lui répondit par un « oui » quelque peu hésitant ; il la rassura aussitôt en disant « Voilà, ça c’est déjà un bon oui ! ». Ah, ce plaisir d’accompagner, de rassurer et - pourquoi pas - de taquiner les futurs mariés. Après tout, nous sommes à Bruxelles… alors, autant zwanzer quand on en a l’occasion ! C’est pourquoi, en ce lieu où l’on est « condamnés à l’Amour à perpétuité », je me suis toujours demandé si quelqu’un avait déjà eu l’audace d’accompagner la sortie des époux par un tonitruant :
Oh, Jefke es getraat, ei zit in de mizeire, ei zit in de mizeire !
Oh, Jefke es getraat, ei zit in de mizeire, en ’t es zan aaige faat!
Je vous remercie !
